Souveraineté alimentaire et écologie sont-elles encore compatibles dans la Pac ?
Les crises récentes, qu’elles soient sanitaires ou géopolitiques, couplées aux manifestations d’agriculteurs de différents pays européens, ont contribué à une remise en cause des exigences environnementales de la Pac. Face à un besoin accru de compétitivité, est-il encore possible de rehausser les objectifs environnementaux ?
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Les nouvelles mesures de simplification de la Pac, proposées en mai dernier et sur lesquelles un accord a été trouvé début novembre entre le Conseil et le Parlement européens, doivent assouplir la conditionnalité, actant une forme d’allègement des exigences environnementales, au nom du soutien aux agriculteurs et à la souveraineté alimentaire.
Sur fond de guerre en Ukraine, les débats sur la souveraineté alimentaire ont explosé, explique Jean-Christophe Bureau, professeur d’économie à AgroParisTech et chercheur associé au CEPII, intervenant aux Journées de l’Économie le 6 novembre. Avec « une certaine hypocrisie, on se sert de ça pour dire qu’il faut lever les obstacles à la production » et donc pour supprimer une partie de la conditionnalité et de la réglementation environnementale, estime-t-il.
S’il reconnaît que les distorsions de concurrence entre agriculteurs intra et extra-européens sont bien réelles, c’est moins le cas, selon lui, à l’intérieur de l’Europe. « Là où on surtranspose en France, c’est plutôt pour aider les agriculteurs, par exemple avec la loi Egalim », souligne-t-il.
Ainsi, une renationalisation de la Pac aurait tendance à entraîner une course vers le bas entre les Étameurs, explique de son côté Estelle Midler, analyste sur l’agriculture et l’alimentation au Haut Conseil pour le Climat. « Plus les Etats-membres ont de poids, plus ils vont décider de leur niveau d’ambition environnementale, or ils sont sur un marché commun : si un pays se lance dans des mesures bonnes pour l’environnement, leurs agriculteurs vont avoir des coûts plus importants que dans d’autres où ils sont moins disants », détaille-t-elle. Il faudrait dans ce cas un rôle très fort de la Commission pour assurer un socle commun et un niveau d’ambition suffisant or « aujourd’hui, en pratique, elle n’a pas tellement le pouvoir d’imposer ce minimum environnemental », souligne Estelle Midler.
Changer de système, une équation complexe
Il s’agit également d’identifier les pratiques les plus intéressantes pour favoriser la transition vers des systèmes plus sains, plus durables et plus équitables, indique Alban Thomas, directeur de recherche à Inrae. Mais l’efficacité de ces pratiques dépend beaucoup du contexte agropédoclimatique dans lequel elles sont mises en place, tout comme leur adoption est fonction des incitations déployées, et du niveau d’endettement des agriculteurs.
De nombreux instruments existent néanmoins : subventions fléchées vers l’environnement, aides aux investissements pour les changements structurels, outils de gestion des risques pour s’engager dans les pratiques nouvelles, aides à l’installation ciblées vers des modèles plus agroécologiques, énumère Estelle Midler. La fiscalité constitue également un levier ainsi que « la suppression des aides dommageables à l’environnement », comme la niche fiscale sur le carburant qui constitue, estime-t-elle, « une subvention à l’énergie fossile pour les agriculteurs ».
Cependant, ces instruments s’avèrent insuffisants face à certains freins, par exemple en matière d’organisation des filières. L’analyste évoque ainsi l’exemple des légumineuses, qui ont bénéficié de beaucoup d’aides directes en raison de leurs atouts dans la réduction de l’utilisation d’engrais azotés, aides qui n’ont pas suffi à une adoption massive par les agriculteurs. Sans filière structurée, les débouchés ne sont en effet pas au rendez-vous.
« L’encadrement » du monde agricole, un obstacle ?
Pour Jean-Christophe Bureau, brandir l’argument de la souveraineté alimentaire pour reculer sur les exigences environnementales est également hypocrite car « une véritable souveraineté alimentaire, ce n’est pas de produire plus en consommant plus d’engrais importés, de phytosanitaires importés, ce serait d’aller plutôt vers des itinéraires techniques à bas intrants, nettement plus économes ».
Néanmoins, il manque pour lui une vraie compétence sur les pratiques agroécologiques, liée à la « rigidité » de l’encadrement classique du milieu agricole (enseignement agricole, chambres d’agriculture…). « Les techniciens ne savent pas conseiller les systèmes bas intrants. Il y a un vrai savoir-faire qui manque et pas de sursaut de l’encadrement pour aller dans ce sens-là. C’est un véritable obstacle ».
Enfin, il reste « important de mobiliser l’ensemble du système, et non pas uniquement la production agricole », souligne Estelle Midler, ce qui inclut les producteurs d’intrants jusqu’à la gestion des déchets, en passant par les services financiers, la publicité, le transport… Réduire l’empreinte carbone de notre alimentation passe par la réduction des émissions de tous les maillons de la chaîne, ainsi que de celles de l’alimentation importée, ajoute-t-elle.
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